Le duo bizarre et fascinant est de retour avec un deuxième album rock et baroque captivant. Rencontre avec deux artistes, sans limites.
En janvier, l’actrice et chanteuse Arielle Dombasle a fait le buzz en enfilant sa queue de poisson pour rejoindre quelques ensorceleuses au fond des mers et chanter « We Bleed for the Ocean », avant de périr étouffée avec de la Cellophane. Ce clip choc viral annonçait la sortie de son nouvel album Empire, écrit et composé avec Nicolas Ker, le chanteur sombre de Poni Hoax, sa nouvelle âme sœur musicale, avec qui elle avait déjà sorti un album punk rock (le duo en avait interprété un extrait sur le toit du Point Pop) et imaginé le film gothico-fantastique Alien Crystal Palace. Inspiré par Philip K. Dick, David Bowie, Jim Morrison et Nick Cave, cet opus est le produit d’une alliance bizarre rock et baroque. La production est fine, à la fois nostalgique et futuriste, avec des cordes qui font rêver, des guitares qui semblent résonner depuis les années 1970 et des beats néoélectroniques. La voix de Dombasle monte haut retrouver celle de Ker qui chute dans les graves, mariage poétique fragile, humain, émouvant. Leur Empire, c’est Malkuth, le monde matériel, « le stade ultime de la forme dense et palpable, le lieu où force et forme se dégradent et se rompent », explique Ker, poète maudit qui se noie dans l’alcool et l’autodestruction. Dans leur dernier clip, « Humble Guy », ils explorent ce concept à fond. Lors d’une déambulation nocturne de Nicolas, la peau d’Arielle se fait plastique, elle se transforme en poupée gonflable sexy. Captivant. Rencontre avec deux artistes, sans limites.
Le Point Pop : Enfant déjà, La Petite Sirène était votre conte préféré ?
Arielle Dombasle : C’est LE conte initiateur. Il fait beaucoup pleurer les petites filles, qui s’identifient toutes à elle. C’est une figure mythologique qui cristallise quelque chose de très fort, avec cette idée aussi que pour plaire aux êtres humains, et notamment aux hommes, il faut sortir de son règne pour aller dans un autre règne et en souffrir. C’est tellement beau.
Nicolas Ker : Les sirènes sont dangereuses. Dans L’Odyssée, le chant des sirènes pousse les hommes à la mort.
Quel chant vous fait cet effet ?
N. K. : « All Tomorrow’s Parties » du Velvet Underground est totalement hypnotique. J’ai l’impression qu’elle vient de l’antiquité sumérienne ! Une sorte de rituel de la lune.
A. D. : Le principe de la musique est un envoûtement extrêmement secret et mystérieux. Pourquoi une série de notes vous met dans un état d’aussi grande émotion et bouleversement ? Quand les gens pensent à leur existence, ils ont des moments musicaux en tête. La musique, comme dit Nietzsche, nous met au-dessus des êtres et nous pousse vers les cieux. Avec le chant, qui est par définition enchanteur, on arrive à toucher. C’est à la fois une plainte et une prière.
Nicolas Ker, votre premier album avec Arielle, La Rivière Atlantique, avait quelque chose d’océanique. L’eau est toujours un élément important dans l’atmosphère musicale que vous avez voulu créer dans Empire ?
N. K. : En général, les musiques me viennent entièrement dans la tête. Je ne les compose pas, elles tombent du ciel, entières. Arielle me donne une fréquence, par exemple balalaiki pour « We Bleed for the Ocean », et j’essaie de me brancher dessus. J’entends toutes les variations. Je me sens au service des chansons qui tiennent à naître, plutôt que leur artisan. Elles sont différentes de moi. C’est un processus assez mystérieux finalement.
Arielle Dombasle, si vous étiez un élément, ce serait l’eau ?
A. D. : Absolument. D’abord, on naît dans le liquide amniotique : notre première existence est totalement aquatique. Notre espèce serait peut-être même née dans l’eau d’après certains scientifiques, mais sans aller aussi loin (rires), j’ai grandi au Mexique, un pays bordé par l’Atlantique et le Pacifique, des rivières et des lacs. Très tôt, j’adorais l’eau et nager. J’ai même été championne de natation sur le dos au lycée. Si je mettais bout à bout tous les moments que j’ai passés dans l’eau, ce serait au moins 5 ans en continu. Je me suis aperçue de la transformation des lacs et océans ces 10 dernières années et j’ai voulu agir en faisant ce film et cette musique, utiliser la métaphore, pour sensibiliser les êtres à cet immense problème.
L’édito Madame : sauver les sirènes par Arielle Dombasle
La Petite Sirène, d’Andersen… Le conte qui, enfant, entre deux sanglots, me fit deviner l’éblouissement et les souffrances de l’amour… Cette sirène à la voix d’or et au cœur pur, qui s’éprend d’un humain – un être d’un autre règne – et qui va tout faire pour sortir de son royaume des mers – marcher, chancelante, sur la planète Terre – et tout faire pour éblouir son prince.
Elle reste mon héroïne préférée. Je me souviens du jour où un ami de mes parents s’est mis à m’appeler Arielle, la Petite Sirène – j’eus l’impression d’entrer dans le conte de fées…
J’ai toujours aimé nager. Lacs, rivières, sources, mers et océans : j’ai passé mon temps dans l’eau, sous toutes les latitudes. Au fil du temps, j’ai observé l’altération de la beauté et de la pureté de l’eau, la dégradation lamentable des fonds marins, de la faune, de la flore et de tout l’écosystème. Les berges et les plages envahies de détritus de toute espèce, notamment de matière plastique : une réalité qui me révolte.
••• SE DÉLECTER D’UN BAIN CHAUD « C’est un rituel quotidien. Entrer dans un bain à la bonne température, c’est délicieux, et j’y reste aussi longtemps que je peux me le permettre, parfois en rêvassant, parfois en lisant. Cette langueur, ce calme, cette harmonie réconfortent autant le corps que l’esprit, ils sont comme un retour vers quelque chose qui réchauffe et protège, une thérapie voluptueuse. D’ailleurs, on dit qu’il faut donner un bain chaud par jour aux fous pour les apaiser.Je me souviens également d’un film que j’avais tourné à Khiva, en Ouzbékistan. J’étais logée dans un institut coranique avec pour chambre une minuscule cellule, mais l’équipe m’y avait gentiment installé une baignoire. »
••• S’AGITER EN PERMANENCE « Je suis hyperactive depuis l’enfance. Aujourd’hui, je suis toujours en train de remonter un clip, de me pencher sur les costumes, de penser à un prochain film… Comme on sait que la vie réserve des chagrins, je mets le plaisir au poste de commande. Cela passe par la création, l’amour… et les amis, que j’entraîne dans mes films expérimentaux, avec l’envie de toujours les magnifier, d’exalter leur talent, de dévoiler leur essence.Je leur suis aussi fidèle que je le suis à moi-même, à mes choix, à mes valeurs. Si je m’embarque dans une aventure professionnelle et que le résultat final n’est pas au niveau que je le prévoyais, je ne le regrette jamais. Je préfère trébucher plutôt que trahir mon enthousiasme. »
« EMPIRE » (Barclay/Mercury). Sortie le 19 juin. Pré-commandez ou pré-enregistrez Empire, le nouvel album d’Arielle Dombasle et Nicolas Ker :
Vos enfances sont similaires. Arielle, vous avez grandi au Mexique. Nicolas, au Cambodge et avez tous deux emménagé en France à l’adolescence. Arielle, votre album Diva Latina est entièrement en espagnol. Nicolas, pour ce nouvel album (Empire), c’est la première fois que vous écrivez une chanson en français mais cet album en duo reste majoritairement anglophone. Est-ce que voguer entre plusieurs cultures, et plusieurs langues, permet de développer plusieurs personnalités ?
Nicolas Ker: Je tiens à signaler que j’ai écrit beaucoup de paroles en français, cela m’est aussi facile qu’en anglais ; par contre je préfère ma voix anglophone donc l’utilise quasiment systématiquement. Pour ce qui est des langages, chaque langue fait jouer différents circuits synaptiques : on perçoit le monde différemment suivant qu’on le pense en une langue ou en une autre, il en est de même pour nos propres émotions et sentiments. Ne commençons même pas sur l’impact singulier d’une culture comprise sur notre personnalité. Oui, je suis plusieurs.
Arielle Dombasle: Oui, je suis un oiseau passablement exotique. Il me semble que la situation étrangère est partout la meilleure. Je me suis toujours sentie au carrefour de trois cultures: la catholique baroque mexicaine, le Grand Siècle français, et le kinky kitsch américain.
Vos personnalités scéniques et médiatiques, ont fini par transcender pour chacun d’entre vous votre image (publique au moins). Façonnez-vous une certaine idée de l’artiste français.e ou est-ce l’inverse ?
A: Je me reconnais dans des inspirations paradoxales: Je suis une Autre, et française d’adoption.
N: Même si le rock’n’roll (une de mes inspirations primale) est d’obédience anglo-saxonne, je suis également saturé d’écrivains français. Il me semble être un artiste français s’exprimant en un autre idiome. J’habite ici.
L’Empire est ce que l’on bâtit, dirige, érige, puis dont on perd le contrôle puisqu’il nécessite d’être partagé d’une certaine manière pour exister. Le choix de ce mot pour votre nouvelle collaboration est-il une métaphore de l’album lui même ? Des carrières artistiques en général ?
N: L’Empire est le règne matériel, le Malkuth des kabbalistes, le Samsara bouddhiste. Je le considère comme carcéral, au contraire d’Arielle qui le parcourt avec ravissement.
Si l’alliance autour de cet album est décrite comme une aventure terrestre entre deux citadins, c’est pourtant aux fonds marins que vous dédiez Empire mais également votre album commun précédent La Rivière Atlantique. En plus d’être vitale, l’eau est-elle une matière inspirante ?
A&N: Elle l’a été pour nous deux, en tout cas. C’est depuis un cristal collectif généré par tout que surgissent. L’ Empire englobe toute matière, autant celle d’un homme, que celle d’un loup, d’un champignon, d’un grain de sable ou d’une nano-particule.
A: On dit que l’imagination est la folle du logis. J’en raffole.
Vous défendez la grandeur esthétique contre la médiocrité, la banalité et le conformisme. Comment maintenir un tel projet à l’ère du tout globalisé et accessible ?
N: Ce genre de globalisation des œuvres singulières me semble plutôt être une chance, malgré tous les crimes générés par l’Internet.
A: Au Carrefour des Arts, les uns se nourrissent des autres par transfusion sanguine.
N: Tous servent une même vision qui se définit au travers de transmissions, de télégrammes.
Nicolas Ker est un punk reconnu. Mais vous, Arielle Dombasle, avez peu voir jamais été qualifiée ainsi. Pourtant, à travers votre carrière, vous donnez l’impression d’avoir agi uniquement selon vos envies, en étant seulement vous même. Est-ce une forme de contestation ?
A: Je suis un électron libre, c’est ma plus grande fierté, mon plus grand vertige.
Dans la vie, quand s’arrête le jeu ?
N: Le jeu ne s’arrête jamais. Ici notre crédit est illimité.
A: Au Purgatoire sans doute, en attente du jugement dernier.
LE FIGARO. – Le premier ministre Édouard Philippe a dit que cette crise allait révéler ce que «l’humanité a de plus beau et de plus sombre». Qu’avez-vous vu pour l’heure ?
ARIELLE DOMBASLE. – J’ai vu de la solidarité. Cela me fait bondir de joie. Les gens se reconnaissent dans l’autre, en ont le souci. C’est un sentiment extraordinaire. Avec cet enfermement très surréel, nous sommes tous devenus des soldats face à un ennemi commun : le virus. Cette solidarité nous conduit à écouter notre gouvernement, le corps médical, même si les consignes sont parfois contradictoires. Les plus rebelles, dont je fais partie, se plient à cette sagesse pour ne pas mettre les autres en danger.
Il faut rester vigilants. Cet enfermement, cet arrêt de l’économie engendre aussi tellement de misère, de pauvreté. Des gens vont souffrir terriblement de l’arrêt du commerce, du travail. C’est dramatique.
Elle nous apprend à quel point nous avons besoin des autres. Le sens de la vie, c’est l’amour et l’amitié. Ce qui est intéressant, dans l’existence, ce sont les rencontres. Mais il ne faut surtout pas oublier que beaucoup de gens sont confinés seuls. C’est d’une violence extrême. Il y a des gens qui se sentent si mal qu’ils n’osent même plus faire signe.
J’espère également que les gens seront plus sensibles à la nature, à la beauté des paysages, à la beauté tout court. Tout à coup, on entend chanter les oiseaux, alors qu’on les avait oubliés ou massacrés. Il faut que notre planète soit préservée. Cela me tient très à cœur. Je suis une contemplative. Je mène depuis plusieurs étés une campagne de ramassage des plastiques, «Pick Up the Plastic». C’est un geste simple que tout le monde peut faire. Si Andersen avait vécu à notre époque, la petite sirène serait morte étouffée par le plastique dans l’océan. Sur ce sujet, Nicolas Ker a composé le titre We bleed for the ocean(Nous saignons pour l’océan, NDLR) dans mon dernier album.
Je continue à faire de la musique, bien sûr. La sortie de mon dernier album, Empire , a été reportée (il sortira le 19 juin, NDLR) . Les gens ont reçu le premier single, Just come back alive , comme quelque chose de très prophétique. C’est la prière que nous faisons tous envers ceux que l’on aime et les êtres humains en général. Là, nous sortons le deuxième single, Grand Hôtel . C’est une métaphore du cosmos, qui nous abrite tous.
Quelle sera la première chose que vous ferez, une fois venu «le monde d’après» ?
Je vais courir dans les parcs et jardins parisiens, pour ne pas rater complètement le printemps, avec cette jouissance de la liberté. Et ensuite je vais aller embrasser tous ceux que j’aime.
Craignez-vous d’attraper le Covid-19 ?
Non, pas du tout. Je fais attention comme la plupart des gens. Mais nous sommes tous mortels. La mort peut s’introduire de n’importe quelle façon dans notre existence.
MUSIQUE En période de confinement, Numéro continue à s’intéresser aux musiciens qui accompagnent nos journées avec leurs morceaux. Aujourd’hui, la chanteuse, actrice et vidéaste Arielle Dombasle évoque son nouvel album “Empire”, en collaboration avec Nicolas Ker, sa nostalgie du mouvement punk, son combat contre le plastique et sa nouvelle vie d’instagrameuse.
Arielle Dombasle active la caméra de son MacBook avec un large sourire, amusée à l’idée que les médias poursuivent les interviews dans une situation aussi délicate. La dame n’a jamais quitté son personnage à la tendresse désinvolte. Après l’album La Rivière Atlantique en 2016 et le long-métrage Alien Crystal Palace (2018), ovni aberrant produit par Christian Louboutin et Thaddaeus Ropac, Arielle Dombasle présente Empire, nouvelle collaboration avec le chanteur de Poni Hoax, Nicolas Ker. Une figure incontournable du post-punk français. Un album noir qui convie les spectres du rock gothique. Rencontre avec une femme fantasque qui s’esclaffe depuis son salon.
Numéro: Un matin, je vous ai apostrophée dans le 8e arrondissement de Paris, mais vous ne m’avez pas accordé un regard. Est-ce lié à mon manque de notoriété ?
Arielle Dombasle: C’est étrange. Ce n’est pas mon style. Je ne comprends vraiment pas ce qui a bien pu se passer, d’autant que j’accepte toujours les selfies.
Sachez que vous êtes une véritable star auprès des millenials, d’ailleurs… vos petites vidéos sur Instagram font un carton.
Ah bon ! Je n’étais pas au courant. Je suis sur Insta depuis près d’un an, c’est un medium que j’aime beaucoup. Je follow des gens qui habitent en Australie, d’autres à Dijon. Ces vidéos sont ma petite récréation de la journée. Je filme les cafés dans lesquels je m’installe, je fais visiter des églises et parfois je me dis ‘Tiens, si j’envoyais des cœurs à mes followers en dégustant quelques antipasti’.
“La plupart du temps, je décline les comédies convenues et faciles, le cinéma qui n’en serait finalement pas, et les choses ennuyeuses. Mais il m’est arrivée de refuser des choses puis de regretter, voire d’en pleurer quelque temps après.”
Vous avez notamment filmé les rues désertes de Paris. Quelle case aviez-vous coché sur votre attestation de déplacement dérogatoire ?
“Déplacement professionnel”, car je suis parfois chroniqueuse pour l’émission Les Grosses Têtes. C’est munie de cette attestation magique que j’ai découvert un Paris vide, cette beauté sidérale de fin du monde, d’Apocalypse d’un autre temps. Des pestes, des choléras, il y en a eu. Mais visiblement, nous ne nous protégeons pas mieux aujourd’hui qu’à l’époque d’Homère ou d’Aristote. J’espère que je ne serai plus jamais enfermée comme cela. À moins d’aller en prison. [Bernard-Henri Lévy entre dans la pièce] Mon amour comment-allez vous ! Je suis sur FaceTime avec Numéro ! Àtout à l’heure mon cœur… Je suis confinée, que dis-je, enfermée avec BH donc c’est agréable. Et vous ? Êtes vous confiné seul ?
Oui, malheureusement, la solitude s’est abattue sur moi, c’est bien moins sympathique.
Je ne sais pas comment vous faites. Vous devriez vous trouver un compagnon de confinement. Allez dans un cimetière, il y a plein de chats qui errent entre les tombes et n’attendent que vous. Plus personne ne les nourrit.
J’y songerai… Peut-on être à la fois hypocondriaque et pleinement épanoui en ce moment ?
Bien évidemment que non, il est impossible d’être épanoui. La liberté est un droit fondamental en démocratie. D’ailleurs, je trouve que les gens restent relativement sages et disciplinés pour un pays qui compte 70 millions d’habitants.
Il y a quelques semaines, Carla Bruni s’est amusée à tousser sur le front row du dernier défilé Celine en hurlant “Je n’ai peur de rien !”. Avez-vous eu de ses nouvelles depuis ?
Non, aucune nouvelle. Je crois qu’elle a d’ailleurs reconnu elle-même que c’était une attitude plutôt frivole pour un moment aussi dramatique. Que voulez-vous, elle a voulu être drôle, et cela a échoué… Je suis allée aux urgences dernièrement, bien avant que l’épidémie ne s’abatte sur nous, car mon partenaire musical, Nicolas Ker, est un grand alcoolique. L’état des urgences est toujours aussi terrible. Un type débarque avec la moitié du bras arraché, un autre se tord de douleur, un troisième vomit du sang, un quatrième s’est planté un stylo dans l’œil et un dernier convulse au sol tandis que des parents terrifiés annoncent au personnel soignant que leur enfant a englouti une bouteille de Destop… Et le pire dans tout cela, c’est qu’il faut sélectionner le patient qui aura la chance d’être pris en charge immédiatement. C’est tout simplement horrible. Applaudir le personnel médical à la fenêtre tous les soirs est une bonne chose, mais il faudrait surtout augmenter leurs effectifs, leurs moyens et leurs salaires.
Avez-vous rencontré Nicolas Ker dans un lieu peu recommandable et bourré d’anecdotes ?
Peu recommandable, je ne crois pas ! C’était au Cirque d’hiver, un endroit légendaire et mythique qui nous a permis d’emprunter le chemin des éléphants. On m’avait proposé de chanter avec Poni Hoax pour un spectacle burlesque en septembre 2014. Vous savez, ces filles compagnes de Dita Von Teese qui ont joué dans le film Tournée de Mathieu Amalric. Avec Nicolas, nous nous sommes tout de suite très bien entendus : il m’a parlé de Pasolini, de Tarkovski, des frères Karamazov, de David Lynch, et de bien d’autres choses passionnantes.
Dans le communiqué de presse qui accompagne votre nouvel album, Empire, le journaliste Benoît Sabatier pose une question que je vous retourne : les couples les plus mal assortis sont-ils destinés à créer les œuvres les plus terrassantes ?
Nous sommes à la recherche de l’altérité depuis Aristophane. La recherche de l’autre est indispensable mais il faut bien évidemment que cette altérité soit désassortie. Moi je viens du Bel canto, du Conservatoire de musique, du blues, des cantiques, de la soul, mais je n’avais jamais fait du “rock gothique new wave” comme cela. En fin connaisseur des années 80, Nicolas Ker m’a initiée à David Bowie, à Morrissey, aux Smiths, à Joy Division, aux Stooges, à Nike Cave, au Velvet Underground (surtout du début)… un rock mélodique, gothique et noir qui m’a passionnée.
Benoît Sabatier poursuit en comparant le duo que vous formez avec Nicolas Ker à ceux que forment Starsky et Hutch, JoeyStarr et Kool Shen, Tristan et Iseult mais aussi Jacquie et Michel. À quel couple vous identifiez-vous ?
[Rires.] Peut-être Starsky et Hutch. Tristan et Iseult est un véritable couple désassorti passionnant. Mais moi je suis mariée, voyez-vous, et j’aime mon mari. Et Nicolas a une fiancée. Sachez que j’ai horreur des malentendus.
À qui ce nouvel album s’adresse-t-il et en quoi est-il différent du précédent, La Rivière Atlantique ?
Justement, il s’adresse probablement aux mêmes personnes que La Rivière Atlantique. On me parle souvent de culture de niche, pourtant, le public de nos concerts est très éclectique. Il y a des individus qui viennent me voir et d’autres qui se ruent sur Nicolas qui est une bête de scène. Je crois que cet album s’adresse à ceux qui aiment l’électro, ceux qui aiment The Cure, David Bowie, The Doors, The Police, PJ Harvey, Nike Cave, ceux qui aiment l’électro berlinoise, mais surtout, cet album s’adresse aux gens sensibles.
Vous avez collaboré avec Philippe Katerine, Chilly Gonzales, Etienne Daho, Michel Houllebecq, donné la réplique à Klaus Kinski et incarné Falbala au cinéma… Vous-arrive-t-il de décliner des propositions ?
Bien sûr ! Je suis le fruit de trois cultures différentes : je suis une Américaine née au Mexique qui a découvert la France à l’âge de 18 ans. J’ai donc un penchant naturel pour l’aventure et les surprises. “Étonnez-moi” comme dirait Cocteau. Je suis un carrefour de forces antagonistes. La plupart du temps, les propositions que je décline concernent les comédies convenues et faciles. Le cinéma qui n’en serait finalement pas vraiment. Les choses ennuyeuses qui me forceraient à jouer la même chose pendant quatre ans. Mais figurez-vous qu’il m’est arrivé de refuser des choses puis de regretter, voire d’en pleurer quelques temps après. Mais vous êtes assez intelligent pour vous douter que je ne les citerai pas…
Le terme de cantatrice pop vous sied-il ? Ou préférez-vous celui d’héroïne érotico-punk ?
J’aime mieux “héroïne”, car le terme a une dimension plus magique que le premier. Quant à choisir entre “pop” et “érotico-punk”, je vous avoue que j’ai bien du mal à me décider.
Au Palais de la porte Dorée, l’exposition de Christian Louboutin présente huit statues inspirées de votre silhouette. Est-ce une énième façon de narguer celles qui ne bénéficient pas de votre plastique de rêve ?
Oh non ! [Rires] Je connais Christian depuis toujours, je l’ai rencontré avant même qu’il ne commence à faire ses merveilleux souliers. Il voulait que je sois présente au sein de cette exposition qui retrace sa vie de créateur et m’a présenté Patrick Whitaker et Keir Malem, deux artistes anglais étonnants. Ils créent des statues en cuir et ont utilisé ma silhouette [Elle prend une pose de mannequin] pour sculpter ces huit mannequins nude inanimés. Pourquoi pas ?
“Moi, depuis l’enfance, j’ai décidé de vivre un conte de fée somptueux, sans jamais être vouée à la mélancolie.”
Selon vous, qui côtoyez Nicolas Ker, l’esprit rock a-t-il totalement disparu en 2020 ou peut-on encore être subversif en traversant hors des passages piétons et en prenant la place d’une personne âgée dans le métro ?
Nicolas n’a pas l’esprit rock, Nicolas est un punk. Un être moral qui ne serait jamais subversif avec les faibles et les gentils. Jamais il ne volerait la place d’une vieille dame dans le métro voyons ! [Rires] En revanche il serait partant pour d’autres subversions… bien plus dangereuses ou totalement border line. C’est une sorte d’Artaud moderne. Je vous rappelle qu’il est un prince cambodgien : son grand-père était le chef du protocole du roi Norodom Sihanouk et sa mère est tombée amoureuse du proviseur du lycée français. Toute sa famille a été exécutée, on a retrouvé leurs têtes dans des sacs plastique. Les bombes, les Khmers rouges… il s’en est sorti et a fait maths sup’ avant de faire du rock. Nicolas est un personnage romanesque archi traumatisé. Reconnaissez qu’il n’a rien d’un rockeur en carton-pâte qui se jette sur un canapé en cuir une canette de bière à la main pour faire genre.
À l’instar du romancier Philip K. Dick, Nicolas Ker est persuadé que la matière est une prison et que nous vivons dans un pénitencier, celui de notre propre corps. Faut-il se réjouir ou s’affoler de ce genre d’assertion ?
J’ai récemment découvert Philip K. Dick et figurez-vous que j’adore, je ne savais même pas que Blade Runner était de lui. Je crois, moi, que nous sommes prisonniers de notre mortalité.
Comptez-vous réitérer l’expérience de la tragédie musicale initiée par votre long-métrage Alien Crystal Palace ?
Oui, absolument. Nous sommes déjà en train de travailler sur un nouveau film dans la lignée de Barbe Bleue.
“J’aurai tout le temps de me droguer plus tard. De toute façon nous finirons tous à la morphine…”
Mais d’où toutes ces idées vous viennent-elles !
Il faut repousser les limites. Nous allons trop vite pour prendre le temps de nous poser des questions. Je suis moi même un animal de très grande vitesse vous savez. L’idée selon laquelle il faut avoir le temps, du temps, hors du temps, m’exaspère. Mais enfin, quel avenir voulons-nous ? Moi, depuis l’enfance, j’ai décidé de vivre un conte de fée somptueux, sans jamais être vouée à la mélancolie. Dans la vie, on prend énormément de coups, on tombe dans des gouffres mais une idée subsistera toujours : la volonté de mener sa vie comme on l’entend, et même d’en avoir mille au lieu d’une si on le souhaite. Promettez-moi de ne jamais être docile.
Qu’est ce qui vous a poussée à tourner un court-métrage dans lequel vous enfilez un costume de sirène pour ramasser les bouteilles vides au fond de l’océan ?
Nous sommes entourés de plastiques. De l’iPhone à la prothèse de hanche. Il ne s’agit pas de crier haro sur la matière alchimique par excellence mais sa production est tellement maîtrisée et son coût si peu élevé que les gens se permettent de jeter des objets n’importe où, sous prétexte qu’ils sont à usage unique. Nous n’aurions pas l’idée de jeter nos bijoux ou nos instruments de musique à la mer ! Depuis ma plus tendre enfance je m’efforce de sauver les animaux. Je fais partie de toutes sortes d’associations de protection de la nature. Je suis profondément écolo. Par ailleurs, j’aime beaucoup nager, j’adore l’eau. Et j’ai découvert avec effroi à quel point les fonds marins avaient changé ces dernières années, nécrosés par le plastique. Donc j’ai lancé un challenge: “Pick up the plastic” et sauvez une sirène, sauvez les océans ! Parce que je m’appelle Arielle et que je trouvais la métaphore très belle. Visiblement ce film fonctionne puisqu’il fait pleurer les enfants.
Êtes-vous du genre à foutre d’énormes torgnoles aux gosses qui jettent leurs Capri-Sun dans le caniveau ?
Non, car je ne suis pas pour la torgnole. [Rires] Mais je leur dis “Ah non ! On ne jette pas sa brique de jus dans le caniveau ! Tu vas tuer tous les poissons de l’océan !”Au bout des caniveaux il y a des canaux. Au bout des canaux il y a des rivières. Et les fleuves. Et tout finit dans les océans.
Le gouvernement a insisté pour que les gens restent confinés chez eux mais 70% des Français en ont profité pour s’entraîner au semi-marathon. Avons nous une chance d’éviter d’aggraver la catastrophe écologique que nous traversons avec des citoyens aussi indisciplinés ?
Je ne pense pas que les Français soient aussi indisciplinés que cela. Lorsque vous mettez le nez dehors, vous ne croisez pratiquement personne. Les gens sont assez merveilleux et plutôt sages.
Que dois-je répondre aux quinquagénaires qui me rabâchent qu’aujourd’hui, la culture du trash est pathétique et que c’était bien plus subversif avant, quand je n’étais même pas à l’état de projet?
J’ai aimé l’époque punk parce que j’aimais le concept de “No Future”. La vraie vie c’est maintenant, tout de suite, inutile de faire des plans sur la comète. Cela teintait l’existence d’une sorte de romantisme noir. J’aime Goethe, j’aime Novalis, Baudelaire, tous les Parnassiens, Verlaine, Rimbaud, Théophile Gautier… Le punk c’était ça : une subversion trash. On se peignait les cheveux n’importe comment, on se plantait des épingles à nourrice dans la joue. On s’en fout, il n’y a pas de futur. Une révolte spontanée esthétiquement très belle. J’aimais bien !
Vous semblez-être une fêtarde invétérée, une soirée digne de ce nom est-elle forcément orgiaque ?
Je ne suis pas du tout fêtarde. Je suis quelqu’un d’assez sage finalement. Je ne bois pas et je ne me drogue pas. Par contre je ne suis qu’entourée de gens qui prennent plein de choses. Moi, ce que j’aime, c’est danser. J’aurai tout le temps de me droguer plus tard. De toute façon nous finirons tous à la morphine, une sorte d’apothéose que nous n’aurons pas choisie.
Quelle est donc la soirée la plus folle que vous ayez vécue ?
L’expérience amoureuse.
Empire [Barclay/Mercury] d’Arielle Dombasle et Nicolas Ker, sortie en juin 2020.
Album. Dans Pauline à la plage, d’Éric Rohmer, la sculpturale Arielle Dombasle sortait de la mer et faisait tomber les hommes sur le sable. Elle n’avait plus qu’à les cueillir. Aujourd’hui, ce sont les sacs plastique, véritable plaie pour les océans, que la comédienne, réalisatrice et chanteuse ramasse. ” Moi qui aime tant nager, je me suis aperçue que les océans subissent une dégradation lamentable “, accuse-t-elle, révoltée par la pollution plastique. Elle s’est filmée en train de cueillir les détritus qui étouffent l’écosystème marin avant d’enfiler une queue de poisson (Arielle devient alors l’Ariel de La Petite Sirène ) et de rejoindre quelques amies ensorceleuses au fond des mers. On la voit chanter We Bleed For The Ocean (” Nous saignons pour l’océan “), puis périr étouffée avec de la cellophane, comme tant de tortues actuellement. ” De l’océan Indien à la Méditerranée, de l’Atlantique au Pacifique, des sources aux lacs, des rivières aux fleuves… Où que je sois, je sauve une sirène, je ramasse le plastique “, lance-t-elle. Le clip de sa chanson annonce sa campagne de collecte de plastique, #JeSauveUneSirène, ainsi que la sortie, fin avril, de son nouvel album, Empire , écrit et composé avec Nicolas Ker, le sombre rockeur de Poni Hoax, sa nouvelle âme sœur musicale, avec qui elle avait interprété un titre sur le toit du Point Pop
” Empire “, d’Arielle Dombasle et Nicolas Ker (le 24 avril chez Barclay/Mercury).