Arielle et Nicolas : Unis pour l’Empire et le Meilleur (Paris Bazaar)
Résolument onirique, absolument unique, Empire est un album rare donc précieux. Fruit de la rencontre d’Arielle Dombasle avec Nicolas Ker. Deux artistes comme deux faces d’un même astre. Passionnants et tout à fait fascinants.
C’est d’abord le sourire d’Arielle, solaire, généreux et lumineux comme un premier jour de printemps. C’est ensuite le rire de Nicolas qui déchire la brume sombre d’où il émerge. Après ? Après, le temps ouvre de lui-même la parenthèse. Et c’est ainsi que débute la rencontre. D’emblée magique.
Paru en juin dernier, trois ans après La Rivière Atlantique, Empire est leur deuxième opus. On le découvre comme on découvre une île dont personne n’aurait encore foulé les rivages, un continent qui aurait échappé à tous les radars. Cet autre monde tout à la fois proche et loin du nôtre, Nicolas Ker en a dessiné la carte, Arielle Dombasle est venue l’habiter.
Les images dont elle a eu le désir depuis sont venues prolonger le voyage comme le récit. Huit petits films somptueux, sombres ou flamboyants, tournés malgré le grand enfermement auquel Arielle ne s’est jamais résolue. Autant d’invitations à les rejoindre tous les deux sur ces terres aussi belles qu’étranges.
Au premier temps de leur valse créative, il y a eu cette rencontre au Cirque d’Hiver en septembre 2014. Ce jour-là, sans qu’ils le sachent tous deux, le soleil avait rendez-vous avec la lune.
« Quand j’avais seize ans, se souvient Nicolas, j‘écoutais The Cure, Jesus and Mary Chain, le Velvet Underground et j’allais voir les films d’Arielle, ceux qu’elle tournait avec sa grande amie Virginie Thévenet et puis celui qu’elle avait réalisé, « les Pyramides Bleues » … Je formais mon goût, elle faisait partie de mon univers…
Au Cirque d’Hiver, les filles du Cabaret Burlesque avait organisé une sorte de spectacle. Poni Hoax était le backing band, donc on jouait pour tout le monde… Il y avait aussi Arthur H, Rossy de Palma, Tigerman, et Arielle…
Moi, le souvenir que j’en garde, ajoute Arielle, c‘est la voix… la voix de Nicolas. J’ai vu, j’ai entendu, et j’ai perçu la force magnétique de Poni Hoax… une force incroyable ! Et on a commencé avec Nicolas une conversation sur les écrits de Pasolini notamment… Et je me suis dit : « Comme c’est rare un musicien qui a comme ça une telle sensibilité, et un territoire de connaissance littéraire qui me correspond tellement ! » …
Moi, j’avais pas compris, poursuit Nicolas. Entre deux répétitions, on déjeunait au khebab avec le groupe. Arielle nous a rejoints, elle qui est végétarienne… Ça m’a semblé saugrenu (sourire)… Elle est venue s’asseoir à côté de moi, et on a parlé de plein de choses… Moi devant mon plateau de khebab, elle devant sa salade… (rires)…
Et sur le chemin du retour vers le studio Bleu où on répétait, j’ai percuté d’un coup : « Les Pyramides Bleues !! » … Je ne m’en étais pas rappelé ! Parce que pour moi, Arielle, à force, c’était devenu une figure télévisuelle… Et là, j’ai tilté, tout m’est revenu (sourire)… Voilà, c’était la première demi-heure de notre rencontre (sourire)…
Et ce qui était incroyable, raconte Arielle, c’est que je ne connaissais pas du tout les débuts de Pink Floyd, les Stooges, Joy Division, Morrissey… Toutes ces voix qui ont fait celle de Nicolas, et ça m’a ouvert une perspective de connaissances que j’avais à peine effleurées…
Comme récemment, glisse Nicolas, quand cette semaine je vous ai fait davantage découvrir Léonard Cohen…Oui, poursuit Arielle, je ne connaissais de Léonard Cohen que « Suzanne » ou « The Partisan », Nicolas m’a fait lire et découvrir sa poésie…
Donc, ce sont avec Nicolas des découvertes fondamentales… C’est comme une boule à facettes qui renvoie des éclats de lumière éblouissants… C’est une conversation qui continue toujours…
Et je pense que Nicolas est vraiment la personne qui connaît le mieux, à l’endroit comme à l’envers, aussi bien Bowie que Joy Division ou que… Ou que Philip K. Dick, ajoute Nicolas, et la science-fiction que je vous ai fait découvrir, le cyber-punk, les jeux vidéos, des choses modernes…
On s’est d’ailleurs mis d’accord sur cette phrase de Rimbaud qui est impérissable : « Il faut absolument être moderne! » Évidemment, j’ai lu aussi Homère, Dante, Platon, les grands classiques mais il faut absolument être moderne !
Oui, souligne Arielle, il y a quelque chose du parcours initiatique… Et en même temps, elle a formé mes goûts quand j’avais seize ans, précise Nicolas, je n’imaginais même pas qu’un jour j’allais rencontrer Arielle Dombasle ou Virginie Thévenet… Je n’imaginais même pas que j’allais être musicien ou artiste. À l’époque, je faisais des études scientifiques… Oui, il a fait Maths Sup et après… il a bien tourné (rires)…
Il s’est tourné vers cet univers vraiment profondément rock, qui est cash… Ah oui, je m’étranglais avec mon micro dans des caves devant cinq pékins (rires)… Et je trouve formidable, poursuit Arielle, d’avoir cette vérité… On vit tellement dans un univers de fake, de faux-semblants…
Ces rockers qui se jettent sur un canapé en buvant une bière, en faisant semblant d’être dans la révolte, la douleur… C’est tout fake… Tandis que Nicolas, c’est vrai. Et c’est pour moi fondamental… Nicolas est une quintessence du rock… Et c’est ça qui est rare. »
Quand Arielle évoque l’écriture de Nicolas, elle parle de « versets » et de « psaumes » , parfois hermétiques avec, comme chez Léonard Cohen, un sous-texte » crypté, très beau et très évident » . Elle apparente son rôle à celui des moines copistes. Un travail d’enluminure dont elle a pensé chaque plan et chaque lumière, apportant à leur oeuvre commune son propre langage poétique, celui de la belle image qui fait sens.
Nicolas, qui connaît bien le visage de chacun de ses propres démons, confie la patience angélique dont Arielle n’a cessé de faire preuve à son égard. Il sait que tout le monde ne comprend pas les excès auxquels sa fragilité et ses blessures profondes parfois le mène. Il s’est vu quelques fois si bas.
« Ce qui s’est passé aussi pour « Empire », c’est que Nicolas a beaucoup écrit en étant à l’hôpital… Il était dans une phase d’auto-destruction dramatique… Je dis toujours qu’il est un « survivor » des rockers qui meurent à vingt-sept ans… Son histoire est celle des peintres et des poètes…
Et c’est vrai qu’à notre époque qui est très hygiéniste, qui est sur les rails du conformisme, c’est plus difficile… Mais moi, j’aime les poètes… J’aime, aussi bien en peinture qu’en littérature, le romantisme… J’aime la figure de Baudelaire, le club des Hashischins…
Et on a ensemble une même exigence… On n’essaye pas de se mettre sous la chape, sous la grande sourdine du conformisme… Nous sommes dans le romantisme dans le grand sens du mot… C’est Kleist et Novalis (sourire)…
La musique de Nicolas, ce qu’il compose est pour moi très inspirant… Je crois que l’important dans l’existence, c’est l’inspiration et d’aller au bout, de rester fidèle à ce qu’on aime vraiment…
On est obligé de faire tellement de trucs où on se met au diapason du support, comme les émission de télé où on vous fait parler de n’importe quoi et on y va juste pour pouvoir mettre un tout petit peu d’éclairage sur ce qu’on fait vraiment… Mais il y a tellement de blabla et de fausses infos autour de l’oeuvre… »
Ce qu’a été jusqu’ici le chemin de l’une et de l’un, ce que sont leurs vies aujourd’hui encore les rendent tous deux absolument uniques et magnifiquement singuliers. Arielle Dombasle et Nicolas Ker demeurent définitivement deux étrangers. Ils habitent ici mais ils sont d’ailleurs. Tout à la fois « foreigners » et « strangers » comme le souligne Arielle.
Ce qui explique aussi la beauté et l’étrangeté émouvantes d’Empire, dont les musiques, les chants et les images bougent nos lignes et bousculent allègrement les conventions comme les injonctions du moment.
D’ailleurs, d’hier, d’aujourd’hui et sans doute de demain aussi, Arielle et Nicolas ont ensemble inventé un monde. Savoir qu’ils existent réenchante le nôtre. Simplement. Résolument.
O.D
Empire, le deuxième album d’Arielle Dombasle et Nicolas Ker, paru chez Barclay/Universal